Gazouillette 125 - Mon enfance paysanne. Extraits. Deux poèmes.
Par Martine Gilhard, mardi 15 août 2017 à 21:52 :: Les parutions :: #2745 :: rss
Gazouillette 125 - Mon enfance paysanne. Extraits. Deux poèmes.
De la part des Dossiers d'Aquitaine de BORDEAUX, Gironde, FRANCE.
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LA GAZOUILLETTE DE BORDEAUX
Mon enfance paysanne, je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec vos matins, tôt levé, et vos soirées
bien au-delà de la nuit tombée
jamais de vacances, jamais de repos
la foire chaque 22 du mois
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec vos poules, vos pigeons
vos canards, vos oies, vos pintades,
vos dindes et vos dindons,
à nourrir, à vendre, à plumer
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Entre chiens et chats
Entre lapins et cobayes
La pie apprivoisée sur mon épaule
Et à mes pieds le renardeau réfugié
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec vos chevaux, vos poneys,
vos ânes, vos brebis et vos chèvres
à toujours courser quand vous quittez
les pacages et les enclos sans nous avertir
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec une mère prompte
à distribuer les torgnoles
pour un retard injustifié au retour de l'école
à la moindre incartade, à la moindre incivilité
"tu es fils de paysans pas de voyous"
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec un père et un grand-père
qui ne cessent de vous rappeler
que les mauvaises herbes ont poussé
pendant que vous dormiez vous les ronces,
les chardons et les chiendents
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec vos odeurs de fumier
Vos relents de boucs et de cochons
Vos puanteurs de citrouilles pourries
Vos émanations de la fosse à purin
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec l’oncle Jean aux deux moulins
l’un à vent sur la colline pour la farine
l’autre à eau sur la rivière pour l’huile de noix
été comme hiver à maugréer contre la pluie
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec les doigts gelés à laver les topinambours
les reins meurtris à soulever les bottes de foin
les yeux brûlés par les poussières de la batteuse
les chevilles engluées dans boues et guérets
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec mes frères, mes sœurs
la flopée de cousins, de copains
les voisins et les métayers
toujours prêts pour la pêche, la chasse
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec le temps des moissons, des vendanges
des semailles, des maïs, des betteraves,
des pêches, des pommes, des châtaignes
mais aussi des airelles et des noisettes
Je ne vous oublierai jamais
Mon enfance paysanne
Avec les ripailles de cagouilles-escargots
de clafoutis, de magrets et de foies gras
d’eau de vie sur les piqûres d’insectes
d’eau de coings les jours de coliques
Je ne vous oublierai jamais
Hier des bulldozers ont rasé la ferme et les granges,
dépecé la colline, arraché les taillis comblé la rivière, broyé les moulins de l’oncle Jean
Dans ce coin de la charmante Charente
où le siècle dernier errait encore le loup de Vigny
désormais un train bruyant plus rapide que le vent relie Paris-Bordeaux en deux heures
Après avoir dépensé des milliards d’euros affairistes, politiques, artistes ont inventé des Paysages sans arbres sans fleurs et sans oiseaux avec creux discours et champagne à gogo.
Une inauguration en grande pompe puis ce fut la grand' panne avec arrêt des trains, un jour de grand départ en vacances. La SNCF en grande étourdie avait oublié d'informer les voyageurs. Moi, Gaétan de la Gazouille, je vous invite à relire le poème de Vigny dont le loup se gavait des galettes du moulin de l'oncle Jean.
La Mort du Loup Alfred de Vigny (Les destinées,1843)
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. - Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au-dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au-delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
À voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
Il disait : "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler".
“-Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, (de la gare Montparnasse)
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur ! (de mon enfance paysanne)”
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