LES DOSSIERS D'AQUITAINE

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LA GAZOUILLETTE DE BORDEAUX

Mon enfance paysanne, je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec vos matins, tôt levé, et vos soirées

bien au-delà de la nuit tombée

jamais de vacances, jamais de repos

la foire chaque 22 du mois

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec vos poules, vos pigeons

vos canards, vos oies, vos pintades,

vos dindes et vos dindons,

à nourrir, à vendre, à plumer

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Entre chiens et chats

Entre lapins et cobayes

La pie apprivoisée sur mon épaule

Et à mes pieds le renardeau réfugié

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec vos chevaux, vos poneys,

vos ânes, vos brebis et vos chèvres

à toujours courser quand vous quittez

les pacages et les enclos sans nous avertir

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec une mère prompte

à distribuer les torgnoles

pour un retard injustifié au retour de l'école

à la moindre incartade, à la moindre incivilité

"tu es fils de paysans pas de voyous"

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec un père et un grand-père

qui ne cessent de vous rappeler

que les mauvaises herbes ont poussé

pendant que vous dormiez vous les ronces,

les chardons et les chiendents

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec vos odeurs de fumier

Vos relents de boucs et de cochons

Vos puanteurs de citrouilles pourries

Vos émanations de la fosse à purin

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec l’oncle Jean aux deux moulins

l’un à vent sur la colline pour la farine

l’autre à eau sur la rivière pour l’huile de noix

été comme hiver à maugréer contre la pluie

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec les doigts gelés à laver les topinambours

les reins meurtris à soulever les bottes de foin

les yeux brûlés par les poussières de la batteuse

les chevilles engluées dans boues et guérets

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec mes frères, mes sœurs

la flopée de cousins, de copains

les voisins et les métayers

toujours prêts pour la pêche, la chasse

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec le temps des moissons, des vendanges

des semailles, des maïs, des betteraves,

des pêches, des pommes, des châtaignes

mais aussi des airelles et des noisettes

Je ne vous oublierai jamais

Mon enfance paysanne

Avec les ripailles de cagouilles-escargots

de clafoutis, de magrets et de foies gras

d’eau de vie sur les piqûres d’insectes

d’eau de coings les jours de coliques

Je ne vous oublierai jamais


Hier des bulldozers ont rasé la ferme et les granges,

dépecé la colline, arraché les taillis comblé la rivière, broyé les moulins de l’oncle Jean

Dans ce coin de la charmante Charente

où le siècle dernier errait encore le loup de Vigny

désormais un train bruyant plus rapide que le vent relie Paris-Bordeaux en deux heures

Après avoir dépensé des milliards d’euros affairistes, politiques, artistes ont inventé des Paysages sans arbres sans fleurs et sans oiseaux avec creux discours et champagne à gogo.

Une inauguration en grande pompe puis ce fut la grand' panne avec arrêt des trains, un jour de grand départ en vacances. La SNCF en grande étourdie avait oublié d'informer les voyageurs. Moi, Gaétan de la Gazouille, je vous invite à relire le poème de Vigny dont le loup se gavait des galettes du moulin de l'oncle Jean.

La Mort du Loup Alfred de Vigny (Les destinées,1843)

Les nuages couraient sur la lune enflammée

Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,

Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.

Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,

Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,

Nous avons aperçu les grands ongles marqués

Par les loups voyageurs que nous avions traqués.

Nous avons écouté, retenant notre haleine

Et le pas suspendu. - Ni le bois, ni la plaine

Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement

La girouette en deuil criait au firmament ;

Car le vent élevé bien au-dessus des terres,

N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,

Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,

Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,

Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête

A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt,

Lui que jamais ici on ne vit en défaut,

A déclaré tout bas que ces marques récentes

Annonçait la démarche et les griffes puissantes

De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,

Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,

Nous allions pas à pas en écartant les branches.

Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,

J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,

Et je vois au-delà quatre formes légères

Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,

Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.

Leur forme était semblable et semblable la danse ;

Mais les enfants du loup se jouaient en silence,

Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,

Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,

Sa louve reposait comme celle de marbre

Qu'adorait les Romains, et dont les flancs velus

Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.

Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées

Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.

Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;

Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,

Du chien le plus hardi la gorge pantelante

Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,

Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair

Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,

Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,

Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,

Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.

Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.

Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;

Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.

Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,

Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,

Et, sans daigner savoir comment il a péri,

Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,

Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre

A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,

Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,

Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve

Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;

Mais son devoir était de les sauver, afin

De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,

A ne jamais entrer dans le pacte des villes

Que l'homme a fait avec les animaux serviles

Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,

Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,

Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,

C'est vous qui le savez, sublimes animaux !

À voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse

Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,

Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !

Il disait : "Si tu peux, fais que ton âme arrive,

À force de rester studieuse et pensive,

Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté

Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.

Gémir, pleurer, prier est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler".

“-Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, (de la gare Montparnasse)

Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur ! (de mon enfance paysanne)”