"...(...Epigraphe, bulletin de souscription et début du 1er texte)

de mon dernier ouvrage paru en novembre 2015, un recueil de Nouvelles

sur le thème de la "vengeance"...

Philippe VEYRUNES

« Pour la première fois, j’avais goûté à la vengeance: c’était comme un vin aromatisé; en l’avalant, il était chaud, sentait le terroir, mais laissait un arrière-goût métallique, corrosif, donnant la sensation d’un empoisonnement

Charlotte BRONTE

« Que l’on me donne six heures pour couper un arbre, j’en passerai quatre à préparer ma hache. »

Abraham LINCOLN


Bulletin de souscription : Recueil de nouvelles

1 volume de 134 pages, format 13,5 x 21

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À qui sait attendre

Bulletin à retourner à Philippe VEYRUNES

7 Avenue De Lattre de Tassigny – 13200 ARLES


LES FANTOMES DU CHATELAIN

La sonnerie se prolongea pendant quelques secondes, comme si le visiteur avait insisté, ignorant la sensibilité du carillon. Régis fronça les sourcils et ôta ses lunettes, puis émergea du fauteuil où il s’était carré pour sa lecture du journal.

Par la porte-fenêtre, il jeta un coup d’œil vers l’entrée du domaine. Son attente était récompensée. Devant la haute grille dorée surmontée de l’emblème de la famille De Rogemont - une salamandre enroulée autour d’une clé - se dressait l’athlétique Romain Bastides, l’allure encore juvénile, appuyé contre une voiture.

Avant de quitter le salon, le vicomte pressa un bouton dissimulé par la courtine beige et attendit que le portail s’ouvre. Déjà, les véhicules pénétraient dans le parc. A la tête du convoi, Romain avait repris le volant d’une Chambord noire modèle 1960, aux chromes étincelants. A ses côtés, un terre-neuve assumait avec dignité la posture de passager d’un moment. Bastides, cigarillo aux lèvres, le fit descendre en le gratifiant d’une révérence. Solidement tenu en laisse, l’animal s’ébroua et alla flairer les massifs de roses jaunes en bordure des pelouses. Puis il se coucha aux pieds de son maître, qui l’attacha à une portière de la voiture.

Le long des allées sablonneuses, deux camions grenat arborant l’inscription Théâtre du Ricochet se garèrent à la suite de Romain. Le châtelain contempla, un brin ébahi, les affiches collées sur leur capot. Avec un tel répertoire, la compagnie ne pouvait que forcer le respect.

Cheveux bruns gominés, sourire fendant des joues hâlées, Bastides s’approcha du hobereau, un homme trapu qu’il dominait d’une demi-tête. Après une franche poignée de main, Romain désigna cérémonieusement ceux qui l’escortaient : quatre robustes garçons d’une trentaine d’années et deux filles sensiblement plus jeunes, à la taille mannequin.

- Monsieur De Rogemont, voici ma troupe au grand complet : Sabine, Sandrine, Michel, Antoine, Eric et Victor. Il pointa un index vers le terre-neuve. Je n’oublie pas Rufus, notre mascotte.

Les six individus concernés s’étaient alignés, le visage marmoréen. A l’énoncé de son nom, chacun avait fait le salut militaire et claqué des talons.

Unis comme une équipe sportive et sans complexes, pensa le châtelain, amusé. Cravate bleu nuit, chemise blanche Pierre Cardin, pantalon gris et chaussures noires vernies, Romain tranchait avec la tenue vestimentaire des jeunes gens, où tee-shirts, bermudas et sandales se taillaient la part belle.

- Allez, au travail, les enfants !

Agé de trente-cinq ans, Bastides se donnait des allures de patron. Sa voix bien timbrée était l’autorité même. Il laissa ses compagnons décharger les véhicules et s’adressa au vicomte.

« Nous allons installer la scène, les décors et les chaises, puis nous ferons une dernière répétition en fin d’après-midi. Vous pourrez y assister si vous le souhaitez, monsieur De Rogemont.

- Je préfère découvrir la pièce ce soir, comme tout le monde. J’aurais l’impression de déflorer par avance ce bon moment.

- Entendu. Encore une fois, merci pour votre accueil. C’est un honneur pour nous que de jouer ici. Nous essaierons de mériter une telle faveur.

- Je n’en doute pas une seconde. Je vous laisse à votre tâche. Si vous avez besoin de quelque chose, mon factotum Hubert est à votre disposition. »

Avant de rentrer, De Rogemont observa depuis l’escalier en fer à cheval le petit groupe en train de s’activer. Avec la dextérité de l’habitude, les jeunes hommes avaient entrepris de monter la scène entre deux pelouses, sur une vaste portion de terrain recouverte de gravier. Les filles de la troupe - Sabine, une jolie brunette, et Sandrine, une grande rousse - sortirent d’un des camions un coffre argenté aux poignées en cuir. Elles en retirèrent précautionneusement des robes à traîne, des redingotes, des escarpins et des chapeaux claques.

- Pour les essayages et le maquillage, mon humble demeure vous est offerte, chambres et salles de bains à discrétion, leur lança le maître des lieux. Vêtu d’une chemise à fleurs et d’un blue jean, il savourait le contraste à venir. Les benjamines du groupe, aux yeux verts malicieux, lui sourirent. De Rogemont regagna le salon pour poursuivre sa lecture. De l’extérieur lui parvenaient, à peine amortis par le double vitrage, bruits de marteaux et éclats de voix. A l’autre bout de la grande pièce, son chat persan s’était allongé en sphinx sur un canapé, les oreilles dressées. La demie de treize heures venait de sonner à la pendule d’argent.

Le châtelain laissa bientôt le journal et se renversa dans son fauteuil, les yeux mi-clos. Ses pensées le ramenaient un mois et demi auparavant, à la réception d’une certaine lettre…