Mon Papa

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La cour de la récré, bruit des superlatifs,
Montrant que les CP, vraiment, sont inventifs.
Voulant marquer leur place aux yeux de leurs copains,
Ils décrivent leurs pères en mirages chauvins.

« Mon Papa … mon Papa, eh bien, c’est le plus fort !
C’est pas vrai, c’est le mien ! Il est plus grand, d’abord !
Mais mon Papa, à moi, ses biceps sont plus gros :
D’une main il me lève, il est comme Zorro.
Papa, c’est le meilleur, le plus intelligent ;
La preuve : il comprend tout, même l’arithmétique,
L’argent, l’euro, les chèques, aussi la politique.

Eh bien, moi, mon Papa, il est beaucoup plus fort :
Il est partout premier et n’a jamais eu tort.
C’est le mieux habillé, toujours le mieux coiffé.
Tout le monde l’admire, on aime ce qu’il fait.
Le mien, avec sa langue, il peut toucher son nez !
Le mien peut me porter des heures en randonnée !
Le mien n’a jamais peur, même pas des gendarmes,
Pas plus que des facteurs, des soldats ou des armes.

Le mien c’est en calcul qu’il répond à l’avance,
Pour les watts, les kilos, les volts, avec aisance !
Les kilomètres, ou litres, ou centiares, ou euros,
Tout ça est dans sa tête, avec plein de zéros.
Le mien, les centigrades, et degrés et octets,
Quand sur son grand PC, je le vois pianoter ...
- Mon Papa, au bureau, c’est le chef, il commande :
Et pour les décisions, c’est à lui qu’on demande.

Mon père, avec l’auto, il fait du cent cinquante.
Le mien fait du deux cents ! Et pas dans les descentes !
Le mien, s’il le voulait, il peut faire trois cents !
Je suis sûr que Papa monterait à cinq cents !
Mon Papa au Préfet, il peut parler sans crainte,
Même à Monsieur le Maire, il fait part de ses plaintes.
Le mien, quand il se plaint c’est toujours au Ministre !
Le mien au Président, il dit tous les sinistres ! »

L’inflation enfantine, alors nous fait sourire ;
Car elle évoque en nous bien des vieux souvenirs.
Maintenant, c’est mon tour, d’être Papa aussi,
Et le mien, de Papa, au ciel, il est parti.
Je suis toujours certain que c’était le plus fort
Rien n’y pourra changer : ni mes ans, ni sa mort.
Comme le dit mon fils, en racontant mon sort,
A mon tour je deviens le Papa des records.

C’est Papa qui m’a dit que la terre est bien ronde
Ou pourquoi dans la rue, on y voit tant de monde.
Pourquoi on n’a pas peur que la lune ne tombe
Comment certains pays ont fabriqué la bombe …
Il m’a dit « ça tu peux, mais ça, ne pourra pas »
Et comment travailler sans pleurer sur son cas.
Pourquoi grand-père est mort. Qu’on n’est pas éternel,
Mais qu’on peut vivre vieux sans être exceptionnel.

Quand je ferme les yeux, Papa, je te revois :
Et j’ai toujours cinq ans, quand je rêve de toi …
Tu étais mon héros, mon refuge et mon toit.
Chacun de tes propos avait force de loi.
Sans toi, ce serait tout, que je n’aurais pas su !
Tu étais mon poteau, je m’appuyais dessus.
Dans le monde un Papa, pour un fils est le roi.
Quand mon fils sera père, il fera comme moi …


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Jacques Grieu.