QUESTO-MANIA


Certains vont jouer au bridge, aux échecs, au jeu d’oie
Moi, je joue aux questions ; et que je pose à … moi.
Me tirant par la manche, m’assaillant de « pourquoi »
Elles sont si tordues qu’elles me laissent coi.
Si elles étaient faciles, aucune m’infligerais :
J’aime me prendre en traître et voir si je sècherais.
Même dans mon enfance et même pas bien grand,
Je posais des questions sans cesse à mes parents.

Grandis, mange ta soupe, on verra ça plus tard !
Après beaucoup de soupe, et voyant mon retard,
Mes questions repartaient. Dégoûté du potage,
J’entendais les réponses : attends ! Et reste sage !
J’ai donc laissé mûrir mais n’ai toujours rien vu.
Attends donc la retraite, il faut avoir vécu !
Maintenant retraité, je suis toujours déçu ;
Personne n’est plus là, qui m’aurait répondu.
Faut-il interroger, tous mes petits-enfants ?
Ou bien la cantonade ? Avec ton chevrotant ?
Ou bien le cimetière où gisent les réponses ?
Et donc d’un résultat, j’en attends toujours l’once.
Pourquoi cache-t-on tout, pourquoi ne dit-on rien ?
Sans doute on ne sait rien, mais on le cache bien !

La questionnite aiguë est une maladie.
Courante chez l’enfant. L’adulte s’en guérit,
Pour lui, c’est infantile. Et puis, c’est fatiguant.
Tout lui paraît normal, ordinaire, évident.
Au contraire, chez moi, le mal va s’aggravant.
Des métastases, on voit, dit mon docteur traitant.
Sans doute vous faudrait-il, échanger vos lunettes ;
Leurs verres trop fumés, vous jouent les trouble-fêtes.
Et toutes ces questions, trop sombres à vos yeux,
Inquiètent votre esprit, vous rendent trop anxieux !

On recherche un vaccin, un baume anti-question
La chimio-thérapie tuant ma rébellion.
Au diable, les questions ! Déjà trop de réponses
Jamais sollicitées et que la vie dénonce !
Pourtant de mes questions, certaines étaient belles :
- Pour être intelligent, faut-il être mortel ?
Où donc est passée  « l’âme », un terme disparu ?
Il a bien existé disent de vieux barbus
Puisqu’encore  « âme morte » : est parfois employée,
Aussi « la mort dans l’âme » alors appropriée…
- Pourquoi Père Noël, brandit-il ses sapins,
Alors qu’à Nazareth, il n’y en eut aucun ?
Et jamais de palmiers ? De Jésus, en ces terres,
Les enfants le savent-ils, que c’est l’anniversaire ?
- Pourquoi Rouen préfecture et le Havre en sous fifre ?
L’autre est double de l’un ! Est-ce une erreur de chiffres ?
- J’aime mieux les lundis que les gais samedis,
Est-ce mon mauvais fond ? Un modus vivendi ?
Pour sa savante échelle, pourquoi monsieur Richter
A-t-il pris des matières étant si meurtrières ?
- Pourquoi, de plus en plus, malgré nos bons apôtres,
C’est le malheur des uns qui fait bonheur des autres ?
- La brunette qui joue au golf tous les matins,
Me paraît bien seulette. Elle est veuve, je crains.
Il faudrait l’aborder, l’extraire du chagrin !
Dois-je me proposer pour la distraire, enfin ?

Ils avaient tous raison : les questions, ça fatigue.
Bien plus que les réponses en bon sens peu prodigues.
Les questions à moi-même, je ne lutte plus contre.
C’est devenu un vice jouant à mon encontre.
De tels grands questionneurs, la race en est éteinte ;
Ce sont tous de vieux fous à la triste complainte.
Car en fait de questions, les seules encore posées,
Sont celles étiquetées, répertoriées, dosées.
Des spontanées, osées, l’époque est révolue.
Il n’y a plus que celles en titres des revues,
De la télé du soir, les prêtes-à-demander,
Aux réponses voyantes, à la mode, amendées,
Qui disent quoi penser, comment vivre ou dormir,
Se distraire et aimer travailler, réfléchir.

Les fêtes, anniversaires, en tous genres, à présent
Sont déjà pré-pensées, emballées, spécialement.
Plus d’interrogations, on sait ce qui se fait,
Ce qui est dans le vent, homologué, parfait.
Les fêtes d’autrefois, des Mères, et puis des Pères
N’étaient plus suffisantes, il fallait en refaire
De plus sécurisées, confortables et pratiques.

On vit celles à Grand-Mères, à Grand-Pères, des Musiques
Des Oncles et des Tantes, à la Saint-Valentin,
Des Poètes et des Peintres, de la Saint Jean, des Foins,
De la Femme, et Catherine, et Beaujolais Nouveau
Et la fête du Livre, et celle des Chevaux,
Et celle du Travail ou bien des Boutiquiers.
Celle du Patrimoine et celle des Pompiers,
Celle de la Bonté, celle de Charité,
Du Quatorze Juillet, de la Laïcité,
La fête de la Mer, celle des Aviateurs,
Des Médecins, Notaires, ou des Navigateurs !
Et celle des Oiseaux, même des Droits de l’Homme
Car pour s’en protéger, c’est ainsi qu’il les nomme.
Et j’oublie Halloween, les Langues Régionales,
Fêtes des Etrangers, Liesses Municipales …
Nos fêtes religieuses, souvent dites obsolètes,
Pour les ponts des congés, prêtent bien leurs casquettes …

Tout le monde est ravi. Les gens ont un signal,
Une aide, une assistance, en mémoire idéale,
Un guide et un modèle, une programmation.
Leur vie est sur des rails : plus d’interrogations !
Le temps est balisé, les sentiments dictés.
Les doutes envolés, c’est la sécurité.
Monsieur le préposé, devrais-je être amoureux ?
Si vous avez en stock, si pas trop onéreux ?
Peut-être en coup de foudre ? Et si sans supplément ?
Est-ce bien remboursé, bien mieux que pour les dents ?
- Voilà, voilà, tenez ! Voici nos formulaires,
Qu’il vous faudra remplir en quatorze exemplaires.

Vous voyez les galères où mènent mes questions.
To be or not to be, quelle interrogation !
Mais ces questions de vieux, les jeunes les abhorrent !
Si, par extraordinaire, ils en posaient encore,
Elles seraient petites, sur mesure, à PC
Qui servent cent réponses à côté du sujet.
Au hasard, dans le tas, s’il y a une bonne
C’est depuis un Platon que l’histoire la donne.
Socrate ou bien Platon ? Qui sont donc ces deux-là ?
De riches Américains ? Des Arabes ou mollahs ?
Descartes ou bien Pascal, ou Voltaire ou Rousseau ?
Vieilles barbes obsolètes aux propos de château !

Lassé de ces rengaines, il me faut, moi, Etienne,
M’inventer une fête, et pas la Saint-Etienne :
Une fête pour moi, autonome, hors système,
Que je fêterai seul. Et c’est la Saint-Moi-Même !
J’ouvrirai du bon vin et chanterai très fort,
Mes très chères questions tout en pleurant leur mort :

« Finies, les bonnes sœurs ; y a plus de curés,
Y a plus de bonniches, y a plus de valets.
Y a plus de morale, y a plus de passions,
Y a que des réponses et plus de vraies questions ! »

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Jacques Grieu.