De notre ambassadrice Marie Alice Theard d'HAÏTI.


Honneur


Difficile, très difficile de démêler tous ces souvenirs, les échanges, les silences, les temps morts, les ondes qui se reconnaissent et se croisent, les demi confidences, les dialogues non aboutis, les peurs, les hésitations, les envies, les connivences. Le temps parcouru et les aventures pratiquées sans l'autre les chemins qui se retrouvent avec l'empreinte de nos faiblesses et de nos blessures. La fontaine où l'un tombe dans l'eau claire de l'energie ressourcée et le bourbier où l'autre essaye de reprendre envie au goût du rêve.

Une pulsion sexuelle fait une entorse à la sévérité du quotidien et aux angoisses de l'âme.
ll est loin le temps des escapades, le temps du ressourcement dans le souvenir banal de la passation d'énergie d'une âme à une autre assises côte à côte dans une salle de cinéma où la femme met des cacahuètes au creux de la main de son précieux ami.

ll lui écrit "danse ma gitane" mais l'absence a coupé le rythme du tambourin. On voyage chacun de son côté. L'un vers le soleil, l'autre vers l'horreur la plus abominable : L'Italie n'est pas toujours le fond de la scène des amours éternelles et les jupes à dentelle drivaillent dans les débris de l'épouvante.

L'Ile a son drapeau en berne la mort fait provision d'âmes dans la cité. Parents et amis partent sans adieu ni sépulture. Epars, parmi les rescapés du désastre, les crucifix debout et désolés sur un désert de béton ensanglanté, contemplent d'un air absent la quête de l'évolution du moi devenue la seule catharsis et l'unique thérapie des orphelins du bonheur. La bataille est perdue. La guerre se réduit à un pélérinage pour la survie.

Où sont passés tous les amants ? Port au Prince est devasté. Les fantômes circulent en plein midi. Les hirondelles zébrant le ciel ne sont que les profils des avions transporteurs de l'aide humanitaire. Les hourras faisant écho aux répliques du tremblement de terre sont les chavirements de nos cordes vocales dans l'étranglement de la désespérance.

On veut faire une barricade aux émotions. Ne plus pleurer. Nous sommes les héros de l'ombre, stoïques et sans peur. Notre armure est faite de malheurs maîtrisés.

Mais, l'âme se souvient. Le temps n'a jamais su effacer l'amour, il ne sait pâlir que la rancoeur et ne gouverne que l'acceptation de nos faiblesses et nos lâchetés.

La solitude est d'attente. Sur l'écran de l'ordinateur arrivent les signes précurseurs annoncant le retour des oiseaux de plein été. De quoi sont faits leurs chants ?

ll fait nuit. Au bord de la fenêtre tout s'estompe. L'enfant dort encore. La femme a peur des battements de son coeur qui se réveillent.

Haiti se bat contre une souffrance pérenne. Un jour peut être, il fera beau. Les enfants suivront leurs cerfs-volants sous le regard attendri des amants réunis. Alors tous les baisers seront de vérité. La musique reviendra et la gitane dansera sur l'envie de joie.