L'AVIS DE L'OEIL : Poèmes choisis de Muniam Al Faker. Préface de Grethe Rostboell.


IRAK : Un recueil de poèmes choisis de Muniam Al Faker intitulé ' l'avis de l'œil ' sera prochainement publié à la maison d'édition ' Afak ' au Caire. Il est préfacé par l'ex-ministre de la culture danoise Grethe Rostboell, actuellement responsable du centre danois du développement et de la culture.

' L'avis de l'œil ' est composé de poèmes choisis parmi les recueils suivants: ' Loin d'eux 1983 ' ; ' Le différent 1986 ' ; ' Le livre du questionnement de l'esprit 1990 ' ; ' Trace sur eau 1991 ' ; ' Nul corps dans le tissu 1995 ' ; ' Sens altérés 1996 ' ; ' Le livre de la vision 1997 ' ; ' Ensemble 1998 ' ; ' Rarement 2000 ' ; et des poèmes d'un recueil inédit intitulé ' A ta vue, je fus '.

Il s'agit d'une 2ème édition du recueil , en 108 pages, format moyen. La 1ère a eu lieu à Bagdad en 2005, à l'imprimerie du journal Le Matin. Il est à noter que c'est la première publication de Muniam Al Faker dans sa patrie, sa ville natale Bagdad dont il a été exilé depuis un quart de siècle.

Préface de Grethe Rostboell

Muniam Al Kafer est un poète subtil. Sa poésie dépasse les frontières des pays. Ses beaux poèmes portent une grande sagesse de l'affectif humain. Quant à sa capacité linguistique, elle constitue une profonde compréhension du monde, des sentiments et des idées.

Sa poésie comporte plusieurs paradoxes. C'est pourquoi, la publication de ce recueil offre aux lecteurs arabes une belle occasion de connaître différents aspects de son expérience.
La poésie de Muniam Al Faker recèle un arrière-plan de la poésie arabe classique et des concepts soufis. Ses poèmes expriment d'autant plus une douleur universelle qu'ils s'enfouissent profondément dans les racines d'une terre loin de laquelle le poète vit.

Dans sa poésie, Muniam Al Faker voyage dans une dimension spirituelle entre plusieurs mondes. Aussi dit-il ' La terre est ma vérité ', au moment même où il se considère comme ' le perdant/gagnant '. Ses poèmes révèlent autant la sublimation que l'humilité. Muniam Al Faker écrit le poème à partir d'une viscérale conviction spirituelle. La poésie est pour lui la demeure la plus élevée dans ce monde considéré comme vrai. Si l'être est projeté dans un univers qu'il ne peut guère maîtriser, la poésie l'aide à la compréhension et lui permet de gérer le chaos qui l'entoure.

Comme une nuée d'oiseaux migrateurs hautement organisée, Muniam Al Faker arrange ses mots et ses idées dans son univers poétique. Les images et les métaphores se constituent à travers l'œil qui lit le poème et la conscience qui accède à la philosophie dissimulée derrière les mots.
Mais le mieux, c'est d'écouter le poète Muniam Al Faker lire ses poèmes car il est doté d'une touchante qualité musicale et possède la capacité d'émouvoir et de transformer son public en une partie de son paysage poétique. Il y a une prestation réciproque car entre le texte et la lecture poétique, se trouve une médiation subtile.

J'espère que les poèmes puissent parvenir à un plus grand nombre de lecteurs pour connaître une expérience poétique de très haut niveau, oui, une poétique subtile, n'ayant rien de convenu, de très haute résonance.

Poèmes choisis de Muniam Al Faker
Traduction Touria Ikbal


Retraite d’un cœur

Construire une patrie
Une fois, j’ai pris un peu de terre
Un peu d’herbe
Et un peu d’eau
Et beaucoup de barbelés
J’en ai bâti une patrie
Pourrais-je la nommer Iraq ?

Soldat

Il n’était pas fragile au point de se briser
Ni mou au point de se plier
Il baignait dans une effroyable solitude
Lors de sa première permission,
il revient dans un camion
lors de la seconde,
dans un bus
lors de la troisième,
dans un cercueil.

Je suis l’erreur du monde et son regret

Je suis
...
une semence anonyme
que la terre a portée
puis
a abandonné au vacarme
le vacarme
est l’écho
du désir

Je suis une étoile égarée
que la terre a abritée
et a recouverte de loques
Je suis
trace
sur
eau

Je suis
Qui suis-je ?
Je ne suis que défroques dans une culotte
Je ne sais point
Comment j’en suis arrivé là
Ni qui m’a rendu ainsi
J’aurais aimé que fussent diaphanes
Désir, monde et moi
Le monde est à moitié mélancolie
Moitié farce
Corrompant la douleur par le rire.

Comme une pluie averse
La douleur s’est infiltrée en moi
A travers
Le parapluie
Percé
De ma douleur

Ce que j’ai vu nier m’a effrayé
J’ai vu le portrait de mon visage
Dénudé d’innocence et de douceur
Je fus bouleversé
De voir ces traits barbares
Nés à mon insu.

Faim

Affamé
La faim a faim de ma faim
Eternel affamé je suis
Affamé à tout
Autour de moi
Tout est faim
Ni pain n’emporte ma faim ni faim
Ne meurt-elle pas de faim la faim ?

Tu es ma différence d’avec autrui

Je suis le seul espoir
Auquel tu ne saurais épargner
Le désespoir

L’un après l’autre
J’enverrai mes souvenirs à l’oubli
Puis
Je viendrai vers toi

Je guette un événement qui n’a pas eu lieu
L’air m’invite à converser
mais un parfum furtif
me perdit une femme.

Chaque nuit
Toi et moi
Otons nos habits
Plongeons dans l’océan du sommeil
et lorsque, de noyade
nous nous sentons menacés
chacun de nous
loin de l’autre
commet
le rêve de sa survie.

Poèmes d’amour

1/
A
ta vue
je fus

2/
L’amour est notre consolation
dans un monde malsain
faute d’amour

L’amour
est la sublimation de l’être
dans un univers
sombrant dans la haine

- L’amour est le bienfait de l’être envers l’univers

3/
Au commencement
nous fûmes un tout unique
L’amour me châtra de toi
pour vivre
sur mon désir
pour toi

Tu es
moi
quand j’aimerais
t’être

Tu es celle qui peut m’être

4/
Au commencement
Tu fus
puis je fus

Que serais je
si tu n’étais pas toi

Sois toi
pour que je sois moi

Je suis de ce que tu es

5/
Avant toi
je n’étais guère
Après toi
je ne serai point
Tu es
ce qui reste de moi

Tu es la preuve
de
la validité de mon existence

Je suis une illusion
réalisée par son amour

6/
Dans ton amour
Je suis
une trouvaille
ne s’anéantissant pas
d'une existence
et n’existant pas
dans un néant

Je viens
de moi vers toi
pour repartir avec toi
sans toi

- L’amour est la négation du néant

7/
Tu es la seule voie
qui me mène
vers moi
sans me faire supporter
le poids d’un pas

Tu es le chemin
sur lequel je m’égare
pour me retrouver

- Je suis une distance ployée par toi

8/
Les plus beaux chemins
ceux qui
conduisent à toi

je m’encombre de toi
pour dévier
de moi vers toi

j’avance vers toi
pour m’atteindre

9/
Tu es devant mon arrière
Je suis derrière ton devant
En avant
En arrière
Je recule de moi
pour avancer par toi

Je succède
à toi
pour différer
par toi

- Tu es ma différence d’avec autrui

10/
Tu es le sens
longuement tu
jusqu’à ce que
j’eus prononcé
son mot

Je suis
un mot de passage
pour un sens durable
qui est toi

- L’anéantissement du sens est l’anéantissement du mot

Rarement

La pièce, mon habit de pierre

Je suis
issu d’une pièce
dont
je clos la progéniture.

La chambre est mon hôte
Elle me rend visite
quand cela me convient
Elle prend congé
quand je le désire
On a rien à partager
ni à se départager.


La chambre
dénoue mes contraintes
pour me laisser libre
entre ses murs.

Dans ma vieille pièce
L’obscurité
vainc la lumière
Les murs
admettent enfin leurs fissures
Les couleurs
tendent à la pâleur
Parfois,
l’air me visite
m’époussette
et me parle
longuement de l’odeur.

Sur la terrasse hautaine
deux sièges patients
une table sobre
avec
deux cafés appréhensifs
le premier vient de s’achever
le deuxième se cramponne à l’odeur.

Je suis
La faille de la pièce
Colmatée par la peur

Mon visage
est un registre historique bien rempli
Ses yeux témoignent
d’événements larmoyants
Sur ses lèvres
les traces d’un sourire
De sa bouche
se hisse la statue du silence.

Ma voix flottante
cherche refuge
dans une oreille
en ruine.

Le parfum, testament de la rose

L’arbre
s’approche de moi
se met à mes côtés
Du haut de ses fleurs à point
il me défie
et cherche à me vaincre
par le parfum.

Quand le monde
sera exclusivement mien
je transformerai ses êtres en arbres
dont les fleurs ne me refuseraient pas
le parfum.

Le verger me propose une promenade
puis
promène sa promenade loin de la mienne.

Les arbres me châtient pour mon existence
Sans toi
ils taillent leur tronc en branches
derrière lesquelles j’exécute la sanction :
ton absence à perpétuité.

Mon apparition automnale
accentue la gêne de l’arbre
D’un regard feuilleté
je couvre sa nudité.

Muniam Al Faker. PPdM :
http://www.poetasdelmundo.com/verInfo_arabe.asp?ID=1090

Grethe Rostboell, ex-ministre de la culture danoise.

Publication: 13-02-2010.