J’ai ici quelques trésors rapportés du Maroc. Par Luis Arias Manzo.


CHILI : J’étais en tournée poétique au Maroc quand j’ai reçu un message d’Ahmed Aït Belaïd, directeur du Centre Mohamed VI pour le Dialogue des Civilisations. Le courrier provenait de Coquimbo, Chile, dans lequel Ahmed me proposait de participer au projet d’un livre sur la vision qu’ont les chiliens du Maroc. J’y ai pensé assez longtemps mais toutes ces expériences avec cette ancienne civilisation étaient si frais dans ma mémoire que je les vivais encore et puis j’avais besoin de temps pour penser, pour digérer, pour regarder les choses depuis un autre angle, ou simplement pour sentir la douleur que cause la distance quand la nostalgie pénètre la profondeur de la nostalgie.

A présent je me sens loin de ce vécu, loin et nostalgique, mais la nostalgie me transporte dans cette chère réalité. Quatre mois sont passés depuis que j’étais parmi ce peuple, entre ses gens chaleureux et pleins d’humanité, et à présent, cloué dans mon bureau, remémorant ce que j’y ai vécu, il me vient en mémoire les moments les plus beaux et aussi les tristes à cause des contradictions d’une société divisée par la dure histoire que ce peuple a vécu.


Luis et Mayssaâ

Ils me demandent de dire comment je vois le Maroc, mais un tourbillon se forme dans ma conscience en y pensant, car ce qui est bien et ce qui est mal se mélangent, formant une larme de douleur et d’espoir, de tristesse et de joie. Et tout ça, parce que j’aime la vie, parce que j’aime la magie de l’existence humaine, parce que j’aime mes semblables, mes gens n’ont ni nationalités ni frontières, mes gens sont mes semblables, mes gens signifient tout, mes semblables sont aussi les gens du Maroc.

Leila et Aida

J’ai si présentes les images et les expressions des visages de ces gens, ces gens qui expriment la même anxiété, la même douleur, le même désir, la même angoisse, le même amour pour la vie et la même affection pour le poète étranger, qu’ils soient d’une ethnie ou d’une autre, d’une classe sociale ou d’une autre, l’amour et la beauté de l’existence humaine n’a pas non plus de frontières.


Depuis plus d’un an, un poète marocain m’a demandé d’écrire une préface pour son livre de poésies qui s’intitulait « Le Bruit du Silence », je l’ai fait avec amour pour quelqu’un que je ne connaissais pas personnellement, et là je le disais : « Mon héros, Abdelouahid Bennani, est né à Tanger, au Maroc, en 1958, je suis née à Melipilla, au Chili, en 1956, c'est-à-dire que nous avons vécu les choses en même temps, mais dans des lieux différents. L'histoire nous a recueillis à la même époque, et la magie de l'existence nous a rassemblés au carrefour de la vie. Pour quoi faire? Je ne le sais pas encore, mais j'ai la vision de quelque chose de grand qui galope dans l'horizon du destin. » Je cite ce fragment de ma préface car il illustre bien l’idée que la distance ne sépare pas l’homme de l’homme, ce qui les sépare c’est la stupidité que nous avons été capables de créer à travers les siècles.


J’ai écrit plus loin dans cette préface : « ce qui importe c'est la chanson discrète du poète et le bourdonnement du silence qui entraîne par les sables la chanson du monde. Parfois il me fait penser à Jacques Brel, le poète- chanteur Belge, par le rythme de ses vers, la mélodie de sa chanson et le sens qu'il donne aux mots, mais pour sentir le timbre de sa voix il faut le lire dans sa langue originale, le français, il serait difficile de comprendre ici ce qu'il indique si on lit une certaine traduction de ce livre magnifique. » Cette autre citation c’est pour approfondir l’idée de notre appartenance à un seul monde et que tout le reste n’est qu’absurdité.
Ce poète marocain, je ne l’ai jamais vu, je n’avais même pas écouté sa voix, je l’ai vu pour la première fois lors de mon premier voyage au Maroc, je dis mon premier voyage car j’espère y revenir chaque fois que j’en aurais l’occasion, et pourquoi pas, y aller même pour y rester pour toujours et y mourir entre ces frères. J’ai été trois jours avec lui et nous avons parlé des heures durant. Et le charme était, entre autres, voir que malgré la distance on peut se sentir si proches des personnes. Et le charme était de voir comment cet homme ressemblait à Jacques Brel dans le ton de sa voix, sa manière de parler, ses gestes et même son physique.


Avec des enfants de la Medina de Fes

Et pour terminer avec les citations de cette préface:« Le livre a des moments de douceur et de paix, fleurit d'amour et de tendresse, mais aussitôt la douleur, le sang et le bruit des canons interrompent ce moment secret en faisant hurler le silence. Ce sont les cris de guerre qui font agiter l'âme tranquille du désert, c'est comme si subitement le vocabulaire de l'ellipse se mettait à protester. Le Petit Prince d'Antoine de Saint Exupéry, plongé dans le désert du Sahara, disait qu'il faut chercher avec le cœur parce que les yeux sont aveugles, je crois que oui. Je crois qu'il faut aussi écouter avec le cœur parce que les ouïes sont sourdes. Quand cela arrive, on découvre que le silence a des sons qui font craquer la planète, et seulement ainsi, on sera disposé à écouter les plaintes du monde. »

Si j’insiste à rappeler ce que j’ai écrit avant d’aller au le Maroc, c’est que je veux saisir l’occasion pour attirer l’attention, sur cet espace, et dire que nous pouvons vivre en paix et dépasser ces divisions qui ne causent que douleurs, tristesses et souffrances. Je suis convaincu qu’au Maroc, arabes et berbères peuvent vivre ensemble en un mutuel respect et égalité.
J’étais au Moyen et en Haut Atlas, au Rif aussi, là où il y a des villes dont les habitants sont des berbères, où des gens ne parlent ni ne comprennent l’arabe, là où on ne parle qu’Amazigh. Et j’ai palpé la diversité entre ces cultures millénaires, une segmentation des ces peuples quasi inconciliables, mais qui, avec la poésie, seraient parfaitement conciliables car quand on leur met de la poésie comme solution aux problèmes, tout devient possible. Je veux dire que si nous cherchions l’entendement entre les hommes avec amour et beauté, le monde ne se plaindrait pas, les plaintes de la planète disparaîtraient et nous vivrions en harmonie.

J’ai ici sur mon ordinateur quelques trésors que j’ai rapporté du Maroc, trésors qui ne s’achètent avec aucun argent. Ce sont les visages souriants, spécialement ceux d’enfants : Leila et Aida, enfants d’à peine 5 et 6 ans de la Médina de Fès. Je suis sans voix quand je les observe, elles me transportent à l’éternel paradis me faisant répéter au fond de moi, aux moments de la solitude la plus absolue, dans le silence de la nuit de Santiago : « la vie est belle et ça vaut la peine lutter pour ». Nulle muse ne leur ressemble, il n’existe pas de source d’inspiration plus réelle, plus juste, plus belle, plus poétique que le regard et le sourire de cet innocent enfant qui te regarde avec amour et perd son regard dans ta rétine autant de fois à cause du bruit bruyant des choses stupides de chaque jour.

J’ai encore plus d’images de visages souriants ; ce sont les jeunes de la Médina de Fès qui m’ont reçu comme l’un des leurs : Mayssâ, Lamyâ, Nawal, Lamsayah et Abdenbi, jeunes étudiants qui portent au fond de leurs regards l’espoir, et ces désirs de vivre qui ne devraient jamais s’éteindre.

Et j’ai encore plus d’images de visages souriants qui alimentent de vers mes nuits discrètes de poète nostalgique. Comment ne pas se rappeler cette nuit l’enfant poète de Kasita, Zakia Karkar , là-bas au Rif, qui, en cette nuit de poésie Amazigh m’a subjugué avec ses poèmes ? Et que dire du charismatique poète Amazigh Ouajd Karkar qui m’a organisé une soirée poétique avec les jeunes de Kasita ? Les jeunes de Kasita ont les mêmes peines et les mêmes craintes que les jeunes de n’importe quel endroit du monde en ces ans matériels de totale incertitude que nous vivons.

Luis avec les poètes de Larache

Mais il y a aussi les visages souriants des vieux poètes, Mohamed Sibari, médaille Pablo Neruda pour les cent ans du Nobel qui m’a souhaité la bienvenue à Larache. Driss Allouch, notre Ambassadeur des Poètes du Monde au Maroc m’ayant ouvert les portes de sa maison et m’ayant reçu parmi ses enfants Jaad et Assaad qui parlent un excellent espagnol et sentent l’énergie du poète qui les visite. Mourad El Kadiri de la Maison de la Poésie du Maroc. Ali Khadaoui qui m’a reçu à Kenitra et m’a emmené au Maroc profond du Moyen et Haut Atlas avec Mohamed Oudadess me faisant découvrir l’histoire du pays. C’est là, en haut, que j’ai senti les dures batailles entre les berbères et les français quand avait commencé la colonisation Gaule.

Et il y a aussi le visage souriant de la poétesse Fátima Bouhraka qui m’a fait découvrir ce qu’était une fête de mariage populaire au Maroc. Elle m’a appris ce qu’était la vie , là-bas, à la Médina de Fès et comment on pouvait voyager avec un frère marocain.

On me demande de parler du Maroc vue par les yeux du chilien, et moi, chilien parce que j’ai un passeport de ce pays et parce que je suis né à cet endroit de la planète, je ne vois que visages, personnes, enfants, travailleurs, histoire et poètes. Au Maroc, l’essence du pays est en son peuple, en ses artisans, ses enfants, ses jeunes et ses travailleurs de tous les jours. Ce sont eux qui font la grandeur de cette nation, aujourd’hui et pour toujours, aimée, aimée parce que j’aime ses gens. Voilà…


Luis Arias Manzo
Fondateur et Secrétaire Général des Poètes du Monde :
http://www.poetasdelmundo.com/verInfo_america.asp?ID=377.

Traduit de l'espagnol par Abdelouahid Bennani, Consul Général de Poetas del Mundo au Maroc :
http://www.poetasdelmundo.com/verInfo_arabe.asp?ID=2405.

Publication: 22-01-2010.